IL A CHANTÉ
(Paroles : C. Didier / Musique : Marguerite Monnot)
Edith Piaf (France) - 1948
Il est venu pour la moisson.
C'était un fort et beau garçon
Aux yeux câlins, aux lèvres dures.
Tout en moissonnant, il chantait
Et, dans sa voix, l'on entendait
Toutes les voix de la nature.
Il a chanté le clair printemps,
Les oiseaux, les prés éclatants,
Les taillis verts, les fleurs nouvelles.
Le soir, pour les gens rassemblés,
Il a dit la chanson des blés
Dans la fausse courbe des Javelles.
Il a chanté.
Les moissonneurs l'ont écouté
Et la maîtresse aussi l'écoute.
Il a chanté
Puis il a dit : "A ma santé !
Et demain, je reprends la route"
Quand tout dormait, vers la minuit,
Comme il allait partir sans bruit,
La femme du maître est venue,
Toute pâle et le cœur battant
Et belle de désir pourtant
Et sous sa mante presque nue.
Elle a dit : "C'est toi que j'attends,
Depuis des jours, depuis des ans.
Qu'importe une existence brève.
Reste auprès de moi jusqu'au jour...
Chante-moi la chanson d'amour
Et que je vive enfin mon rêve !"
Il a chanté.
Les yeux clos, elle a écouté
Sa douce voix qui la prend toute.
Il a chanté
L'amour, la mort, la volupté
Et, tous deux, ils ont pris la route.
Ils sont partis le lendemain.
Elle a connu l'âpre chemin,
La faim, le travail, la tristesse
Car son amant, vite lassé,
Sans un regret pour le passé,
A caressé d'autres maîtresses.
N'en pouvant plus d'avoir souffert,
Après des nuits, des jours d'enfer
Elle a dit, la pauvre amoureuse :
"Bien-aimé, n'aie point de remords.
Chante-moi la chanson des morts...
Et laisse-moi, je suis heureuse... "
Il a chanté.
Les yeux clos, elle a écouté
Le grand frisson qui la brûlait toute.
Il a chanté.
Dans un soupir, elle a passé
Et puis il a repris la route...