LA VIE VA
Guy Béart (France)
J'ai passé ma vie
à des théories,
et la vie va, la vie va,
la vie va, va, va,
des années entières
auprès de lumières
qui ne brillaient pas,
et la vie s'en va.
J'ai fait des rencontres,
j'étais pour ou contre,
et la vie va, la vie va, {etc..}
On s'est dit des choses,
tandis que les roses
tombaient sous nos pas,
mais la vie s'en va.
Mon père, mon grand-père
vendaient d'la poussière,
et la vie va, la vie va, {etc..}
Soufflant sur leur tête
un coup de vent bête
soudain les ruina,
et la vie s'en va.
Où est ma jeunesse,
folle de sagesse,
et la vie va, la vie va, {etc..}
Dans mes années tendres,
je n'ai su qu'attendre
le cri que voilà,
mais la vie s'en va.
J'ai forgé des chaînes
pour nos joies, nos peines,
et la vie va, la vie va, {etc..}
des serrures fortes
pour nos maisons mortes
qui croulaient déjà,
et la vie s'en va.
J'ai voulu te dire,
j'aurais dû sourire,
et la vie va, la vie va, {etc..}
J'ai voulu comprendre,
j'aurais dû te prendre.
L'autre emporta,
mais la vie s'en va.
J'ai fait des épures
sur la terre dure,
et la vie va, la vie va, {etc..}
Grattant sur la jungle,
j'ai usé mes ongles.
La forêt gagna,
et la vie s'en va.
Fallait trouver l'arbre,
j'ai cherché le marbre,
et la vie va, la vie va, {etc..}
Quand la vie s'arrête,
comme elle est parfaite,
cette pierre-là,
et la vie s'en va.
J'ai fait mes armoires
pour des robes noires,
et la vie va, la vie va, {etc..}
Pour les fleurs les vases,
pour les hommes les cases,
pour les morts les draps,
mais la vie s'en va.
J'ai perdu mon père,
j'ai perdu ma mère,
et la vie va, la vie va, {etc..}
Mes enfants, sans doute,
me perdront en route.
Je ne change pas,
et la vie s'en va.
J'ai lu dans les livres
à quoi sert de vivre,
et la vie va, la vie va, {etc..}
Les discours qui trichent,
la vie, elle s'en fiche,
elle ne les lit pas,
et la vie s'en va.
La vie que je rêve,
toute ma vie j'en crève,
et la vie va, la vie va, {etc..}
Ma vie même légère,
je ne la digère,
la digère pas,
et la vie s'en va.
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